XVIIe-XVIIIe siècles
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En 1548, des voyageurs flamands visitant à Venise le Musée Grimani relèvent le nom du dieu Belenus. Cet " Apollon gaulois " ne tarde pas à éprouver la sagacité de quelques-uns des meilleurs spécialistes en matière de langues et d’antiquités : Joseph Scaliger, Camden, Saumaise, Vossius, Spon, comme Reinesius. Le 5 janvier 1647, la violente tempête qui fait refluer les eaux du rivage de Domburg, en Zélande, dégage plusieurs autels dédiés à Nehalennia, une divinité celtique inconnue. Celle-ci excite aussitôt les spéculations étymologiques et l’enquête fournit l’occasion de formuler, pour la première fois avec l’acuité méthodologique qui la caractérisera au XIXe siècle, la théorie de l’origine commune des langues européennes, de l’Atlantique à la mer Noire. Une troisième découverte archéologique, l’exhumation, le 16 mars 1711, du pilier des nautes parisiens consacre le panthéon gaulois en faisant surgir les figures de Cernunnos, de Hesus ainsi que du taureau à trois grues.
Aux origines de la linguistique moderne se dégagent ainsi une restitution de l’archive, un affranchissement de l’oralité par rapport à l’inscription, une prise de conscience de la force créatrice et sociale du langage qui anticipe les conceptions de Vico ou Herder. Simultanément, le travail archéologique évolue de la collection et de la citation littéraire à " l’invention de la préhistoire " et, partant, à la description d’une matière émancipée du texte. Aussi Daniel Droixhe s’emploie-t-il à saisir la mutation de deux disciplines, l’archéologie et la linguistique, confrontées à des écoles ou à des épisodes majeurs de l’historiographie européenne : la quête de l’origine grecque, l’exaltation des antiquités germaniques, la crise des amusements d’antiquaire, le recyclage – déiste ou chrétien – du druidisme et le triomphe " éclairé " de la celtomanie, entre primitivisme et genèse de l’anthropologie.
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Diderot est-il un philosophe ? La qualité lui a souvent été contestée, tout directeur de l’Encyclopédie fût-il. Articulée autour de quelques principes, dont le plus important est celui de la dépuration de l’univers, la pensée de Denis Diderot touche à tous les domaines du savoir : elle reprend des problèmes débattus depuis fort longtemps, comme le pouvoir et les limites des sens, l’origine et la fonction du langage, la signification et le rôle de l’art. Elle n’esquive ni la thèse inédite ni les débats nourris par les savants et les philosophes du temps.
D’une part, en prêtant à la matière inerte certaines caractéristiques des êtres sensibles, Diderot élabore une théorie de la nature où mécanisme et vitalisme s’équilibrent pour assurer aux choses force et dynamisme d’un côté, ordre et constance de l’autre. Il éprouve, d’autre part, sa pensée politique en discutant les origines de la société civile, le processus de formation du pouvoir politique et l’apparition de déviances telles que le despotisme et la tyrannie. Ainsi, en associant étroitement les rouages de la société aux lois de la nature, Diderot s’emploie-t-il à définir les fondements des droits de l’homme et des valeurs morales.
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Le cinquième tome du Journal du marquis de Bombelles donne à voir les pérégrinations d’une famille d’émigrés entre 1795 et 1800. Installés à Ratisbonne, les Bombelles fuient la progression des armées françaises et trouvent difficilement un refuge dans la petite ville de Brünn en Moravie, " cul-de-sac " de l’Europe, où le marquis connaîtra l’ennui, l’oisiveté et l’hostilité des autorités autrichiennes. Ces années signent le terme de la Révolution et, d’emblée, le retour de nombreux émigrés. Rien ne peut fléchir la foi monarchique de Bombelles, même si les chances d’une restauration du roi semblent s’éloigner, alors qu’un nouveau venu fait une apparition fulgurante sur la scène politique, le général Bonaparte. La plus cruelle épreuve pour le marquis sera la mort de sa femme en septembre 1800. A ce drame personnel s’ajoutent l’agonie du corps de Condé auquel il avait tenté de s’agréger, les soucis financiers et l’avenir compromis de ses fils.
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Un corpus, méconnu et volumineux, est au cœur de ce livre : celui que composent les écrits "micrologiques" peignant les mœurs des érudits et principalement issus de l’université allemande des XVIIe et XVIIIe siècles. L’auteur, en confrontant le lecteur à l’immédiateté d’une matière textuelle singulière et redondante, s’interroge, non sans ironie, sur la nature et le contenu de ces bagatelles, qui aussi subtilement que mécaniquement dessinèrent en leur temps la voie d’une autre philosophie, parallèle et fallacieusement mineure. L’effet de loupe, revendiqué ici avec malice, est l’occasion d’une remise en cause des catégories traditionnelles dans lesquelles s’enferme parfois la réflexion : le temps, l’espace, le nombre, la vérité, le discours, le sens, la langue, la notion d’auteur et jusqu’à celle de pensée. L’ensemble, qui à tout moment joue avec l’ambiguïté du paradoxe, est à lire comme une expérience à tenter.
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La Déroute de l’armée de Cobourg est une pièce de circonstance, représentée en 1794, trois mois après les victoires de Charleroi et de Fleurus, qui avaient fait battre en retraite les armées coalisées commandées par le général autrichien Cobourg. Cette pièce est un exemple tout à fait caractéristique des « faits historiques », surtout militaires, si fréquemment mis en scène au théâtre en 1794. Pour « agrémenter » le tableau du combat, l’auteur a imaginé dans le camp une ébauche d’intrigue amoureuse, qui s’imbrique étroitement dans le fait historique. Cet auteur, « le citoyen Bellement », est pour ainsi dire un inconnu : comédien de profession, il joua dans plusieurs théâtres de Paris et écrivit quelques pièces conformes à l’esprit révolutionnaire du temps.
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Cette enquête sur les Etats provinciaux rompt avec l’historiographie traditionnelle et réévalue l’idée selon laquelle ils n’auraient plus constitué au XVIIIe siècle que des bras morts de l’administration française. C’est bien au contraire à cette époque que Marie-Laure Legay discerne un développement inédit des attributions des Etats provinciaux. Le paradoxe que constitue l’existence d’assemblées politiques revivifiées dans une monarchie de plus en plus centralisée se vérifie pour les provinces septentrionales (Artois, Cambrésis, Flandre wallonne), objet principal de la thèse, mais également pour l’ensemble du royaume (Béarn, Bourgogne, Bretagne, Languedoc…). Leur regain d’activité fut favorisé par l’évolution des relations des Etats provinciaux avec l’Etat royal : par nécessité, la monarchie en vint à nouer avec leurs oligarchies un contrat tacite d’attribution exclusive du pouvoir provincial, reléguant l’intendant dans un rôle mineur, en échange une application des directives centrales dans le pays. De leur côté, les Etats provinciaux abandonnèrent leur rôle traditionnel de protecteurs des libertés provinciales, pour devenir de redoutables administrateurs, renforçant les mesures de cont tintes fiscales et juridictionnelles sur les habitants. L’auteur montre en outre que cette évolution fut orchestrée conjointement par les députés provinciaux et les bureaux ministériels qui entretenaient d’étroites relations, notamment grâce à la représentation permanente de certains Etats à Paris. C’est seulement à la fin de l’Ancien Régime que fut vivement dénoncée l’émergence de la puissance " co-active " des Etats, indice de la profonde mutation qu’avait alors subi leur rôle.